Forrest traine sa carcasse dans toute la ville en se demandant ce qu’il fout encore là. Il a l’impression de tourner en rond, avec ces mêmes journées qui se répètent, qui ne ressemblent à rien de ce qu’il imaginait plus jeune. Les mêmes cocktails à préparer, les mêmes clients à saluer, le même chemin à traverser, le même appartement à rejoindre, le même coloc à emmerder, et la même porte à claquer. La même rengaine à faire et refaire, avec la lassitude et la fatigue des regrets qui dévorent l’esprit. Il aime son boulot, c’est tranquille, et plutôt drôle, mais aujourd’hui, il y a ce gout amer qui ne veut plus quitter sa langue. C’est comme si plus rien n’avait de sens depuis la toute dernière fois qu’il avait utilisé sa disposition. Une éternité s’est écoulée depuis, mais c’est comme si tout s’était passé hier. Et parfois, il a l’impression de la sentir, tout au fond de lui, cette petite flamme coincée dans la gorge d’un monstre déformé par les souvenirs, qui cherche à émerger et à s’éveiller. C’est à peine perceptible, mais ça l’est suffisamment pour créer un manque et une gêne qu’il porte au quotidien. Il ne pensait pas que ça lui manquerait autant, alors comment fait-il pour continuer à vivre sans ?
Le blues de la fin de semaine le gifle en pleine figure. Pourquoi est-il encore dans cette ville ? Y’a-t-il vraiment autre chose à faire ici que d’errer comme une âme en peine ? Forrest se pose la question quand il traverse cette énième route qui le ramène chez lui. Emerson sera peut-être déjà rentré et il n’a pas envie de le croiser, et encore moins de lui faire la conversation, ou de lui prendre la tête. Il a besoin d’être seul, de souffler, de tout oublier. Il décide alors de s’arrêter à la supérette du coin, de prendre une belle bouteille au prix exorbitant pour noyer ses vieux rêves et ses ambitions à coup de grandes gorgées, et de s’éloigner de toute civilisation. Aller où le vent le mène, se perdre sur le chemin, jusqu’à tomber sur les traces d’une autre époque, comme s’il ne se torturait pas suffisamment déjà l’esprit avec ses idées noires.
Néanmoins ravi par l’endroit choisi, vraisemblablement abandonné depuis des années, Forrest s’enfonce plus loin, et réalise que c’est déjà occupé. Merde. Et c’est encore pire quand il reconnait sans grande difficulté Monsieur-j’abandonne-tout-le-monde. Il regrette soudainement de ne pas être rentré directement pour croiser Emerson – qui aurait été un choix bien plus judicieux et plus facile à vivre. N’importe qui aurait été un choix plus accommodant. Même le client le plus antipathique du seahorse aurait été une délicieuse compagnie à place d'un tel guet-apens.
Forrest ne le rejoint pas immédiatement, il l’observe quelques instants en se demandant ce qui a bien pu le pousser à revenir ici. Est-ce une habitude qu’on a oublié de lui mentionner, ou est-ce une simple coïncidence ?
@Zephyros Blake n’a pas l’air dans son assiette, et probablement qu'il a eu un soudain besoin de s'isoler (comme lui) alors il hésite à repartir et trouver un autre endroit pour le laisser tranquille, puis décide finalement qu’il n’en a plus rien à foutre. Son ancien copain n’a pas eu le moindre état d’âme quand il avait pourtant besoin de lui, alors il n’en aura pas non plus.
« Pourquoi t’es là ? » Lance-t-il d’une voix forte et sévère. Depuis que Zeph l’a lâchement abandonné, Forrest considère que celui-ci n’a plus le droit de repasser dans le coin. Ce lieu est chargé d’histoire, sacré par leur ancienne amitié, et ne mérite pas d’être salie à cause d’un sale gosse qui a décidé de tout gâcher.
« T’as rien à faire ici. Retourne pleurer chez ta maison, les gens de la lune. » Il aurait espéré faire face à autre chose qu'à un déserteur mais puisque c’est tout ce qu’il sait faire de mieux, Forrest l’invite cordialement à disparaitre de nouveau de sa vie.