Come away with me through the echoes of time - Mabel

« Bonjour Mme Parker ! Mabel est là ? »

Le sourire de Lewis a cette fâcheuse tendance de faire fondre les cœurs de toutes les mères ; enfant sage, garant de la sécurité toute relative de la bande du haut de ses seize ans, il n’y a pas un seul parent parmi tous ceux de ses amis qui ne l’accueille pas avec un sourire serein, rassuré ou simplement heureux. Mme Parker ne fait pas exception, et si elle laisse bien volontiers Lewis entrer dans la maison, elle ne retient pas la moindre de ses questions quant à sa présence à lui, seul, ici.

Pourtant, ça commence à devenir une routine, pour Lewis. Dès qu’il voit Emerson à broyer du noir, il comprend que quelque chose ne va pas. Dès qu’il comprend que quelque chose ne va pas, il voit que Mabel n’est pas dans le coin. Et si elle n’est pas dans le coin, il n’a pas à chercher bien loin ; ils se sont encore embrouillés, d’une manière ou l’autre.

Parfois, il aimerait bien qu’ils se décident, tous les deux. Qu’ils choisissent de se parler et de faire des concessions, ou que tout ça ne fonctionnera pas. Il ne peut pourtant pas leur en vouloir de ne pas le faire, de vivre leur vie comme ils le peuvent. Jamais il n’oserait même évoquer à voix haute cette pensée. Trop peur de les blesser, trop peur de briser quelque chose qui fonctionne tant bien que mal. Peur qu’on lui dise que c’est pas parce que lui file le parfait amour que tout le monde peut en faire de même.

Finalement, Mme Parker montre son immense bonté en laissant Lewis avancer seul sur la fin du chemin. Sans doute que Mabel a déjà entendu leurs voix étouffées, depuis le confort de sa chambre. À moins qu’elle n’ait entièrement étouffé le monde extérieur derrière ses écouteurs résolument enfoncés ; difficile de savoir. Devant la porte caractéristique de la chambre qu’occupe leur petite princesse, Lewis pianote rapidement sur son téléphone pour tenir Harper au courant.
J’ai vaincu le dragon, j’arrive en haut de la tour de la princesse. Je te tiens au courant quand j’en ressors !
C’est plus facile de cacher sa propre inquiétude sous l’humour, de chercher le soutien d’Harper en jouant un rôle plutôt qu’en lui disant à quel point la situation lui pèse, le plus souvent.

Trois coups francs. Lewis attend sagement devant la porte, vérifiant rapidement la réponse que lui renvoie Harper et qui lui tire un sourire. Il peut le faire ; il l’a fait des dizaines de fois. Qu’est-ce qu’une fois de plus, quand l’avenir de ses deux plus proches amis est entre ses mains ?

« Mae ? Je viens de parler avec Emerson… Tu veux bien m’ouvrir, à moi ? » Il n’y a qu’amour et inquiétude, dans le fond de sa voix. Est-ce qu’elle a seulement entendu les coups portés à la porte, sa voix qu’il veut assez faible pour ne pas être entendue par la mère de Mabel ? Il ne sait pas, il ne peut qu’attendre. Prêt à lui envoyer un message directement, s’il le faut.

Quoi qu’il arrive, il ne laissera pas Mabel se contenter de solitude et d’humeur maussade. Pas tant qu’il sera là et qu’il pourra faire quoi que ce soit pour lui remonter le moral.

« J’ai… des skittles ? »

Qui ne tente rien n’a rien.

Mabel était vexée comme un poux. Du haut de ses seize ans, l’adolescente avait déjà tout de la petite princesse pourrie gâtée, boudeuse à souhait et à qui on avait passé bien trop de caprices. Elle ne s’en rendait absolument pas compte et cela lui allait très bien comme ça ! Mabel était spéciale, ses parents le lui avaient dit et redit depuis sa naissance ! Elle était naturellement bien plus intelligente et bien plus jolie que les autres, et elle méritait le meilleur ! Et aussi toute l’attention du monde, cela va sans dire …

Et tout le problème tenait dans ces quelques mots : elle n’avait pas, mais vraiment absolument pas, toute l’attention du monde ! Tout cela parce que son imbécile de petit-ami n’était pas dans son assiette, ou avait repéré une autre fille - ce qui était absolument impossible ! Après tout c’était elle la plus jolie, son père le lui avait redit le matin même, en la voyant si triste. Quoi qu’il en soit, Mabel ne savait pas quelle mouche avait piqué @Emerson Moore. Etait-il malade ? S’était-il simplement levé du mauvais pied ? Est-ce qu’il ne s’intéressait plus à elle ?! Avait-il cessé de la trouver jolie ?! Est-ce qu’une autre fille était plus intéressante, plus intelligente, plus pimpante qu’elle ?! Cela, Mabel n’était pas certaine de pouvoir le supporter - ou plutôt, elle savait déjà qu’elle ne pourrait le supporter. Aussi s’était-elle enfermée dans sa chambre et ne donnait pas la moindre nouvelle, comme pour bien marquer le fait qu’elle boudait. Qu’elle boudait beaucoup, même. Et tant pis si cela lui faisait perdre quelques points aux yeux d’Emerson ! Qui, soit dit en passant, en avait perdu à ses yeux à elle ! Cela n’empêchait pas l’adolescente de fixer son téléphone portable depuis des heures, attendant un message de son amoureux qui ne venait pas, se refusant à faire le premier pas. Après tout, n’avait-elle pas sa fierté ?! Non mais franchement ! Un nouvel accès d’énervement se saisit d’elle et elle jura à plusieurs reprises, entreprit de maudire Emerson sur plusieurs générations avant de s’interrompre tout net ! Non ! Surtout pas ! Ils devaient se marier et c’était avec elle qu’il aurait des enfants ! La malédiction sur plusieurs générations n’était de fait pas au programme et … “Par Cabeswater, pourquoi est-ce que les mecs sont aussi STUPIDES ?!” La question, posée au mur, resta sans réponse.

L’instant suivant, la sonnette retentissait et l’adolescente quitta le lit sur lequel elle s’était avachie pour sauter sur ses pieds. Ça y était ! Enfin ! Emerson venait la voir, il venait s’excuser, il venait lui dire qu’il l’aimait, lui demander de bien vouloir le pardonner et … Le bruit des pas dans les escaliers n’était pas celui que faisait Emerson quand il venait la voir et elle s’immobilisa. La voix de @Lewis Moore acheva d’interrompre tout net ses rêveries fantasques. “...” Mabel se laissa tomber aussi sec sur son lit. Et voilà. Non seulement il n’avait pas le cran de venir la voir mais il osait en plus faire venir son cousin pour … UGH ! L’inquiétude qu’elle décelait sans mal dans la voix de son ami n’était pas vraiment suffisante, et Mabel se contenta de se laisser aller, la tête dans l’oreiller, les yeux fermés. La mention des skittles la fit soupirer. “Tu me connais trop bien, c’est pas fairplay. Entre,” maugréa-t-elle. Le bruit de la porte qui s’ouvrait et se refermait résonna dans le creux de ses oreilles, lui arrachant un grommellement. Cette faculté qu’elle avait à tout entendre mieux que tout le monde était parfois agaçante, et les sons amplifiés en permanences ne tarderaient pas à faire naître dans son crâne une énième migraine. Mabel se redressa pour autant, adressa un sourire en demi-teinte à son ami. “Alors ? C’est Emerson qui t’envoie ?! Parce qu’il n’a pas le cran de venir lui-même ?” Ouuuuuh qu’elle était mauvaise ! Au fond, Mabel le savait - mais sa colère, qui n’avait en outre pas vraiment lieu d’être mais Mabel était bien trop obstinée pour le reconnaître, prenait pour le moment le dessus. Plus tard, peut-être, elle apprendrait à se remettre un petit peu plus en question - mais pour l’heure, la petite princesse de Dupree en était bien incapable !

L’abdication arrive enfin et avec elle passe un air de victoire qui s’écrase sur le visage d’un Lewis très fier de lui d’avoir tapé juste en visant les papilles de son amie plutôt que sa raison. Ça aurait marché sur n’importe qui dans leur groupe, lui le premier, et il compte bien continuer d’utiliser cette technique autant de fois qu’elle fonctionnera. Il pousse donc la poignée de la porte, paquet en main pour bien prouver qu’il ne mentait pas, l’air bien satisfait malgré son inquiétude sincère pour elle comme pour Emmerson.

Il ne fait pas de manière, vient s’assoir à côté de Mabel sur un bout de lit où il trouve la place de se poser, en jetant avec douceur le paquet de skittles dans ses mains. Derrière ses insultes en demi-teintes envers son cousin, il ressent bien le fond du problème. Emmerson et Mabel cumulent les problèmes et leur couple est plus vacillant que la flamme qui danse dans la couleur de cheveux de la rouquine, ces derniers temps.

« Personne m’envoie, Mae. Je viens parce que j’ai bien vu à quel point il était morose, qu’il veut pas en parler, et que je m’inquiétais pour toi. »

Ca se ressent dans sa voix, dans le timbre craquelé amené par un certain désespoir à l’idée de voir ses deux plus anciens amis être en aussi mauvais terme de manière trop fréquente pour que ce soit normal. Incapable de leur mettre le nez dans leur propre merde, il peut au moins les aider à se relever, parce qu’il ne voit vraiment pas quoi faire d’autre. Maman poule pour son groupe, c’est la voix teintée de tristesse qu’il tente de la faire s’ouvrir une fois de plus.

« Tu voudrais bien m’en dire un peu plus, toi ? Ou me parler d’un livre que t’as lu récemment, j’sais pas. Ca m’ennuie juste de vous voir comme ça tous les deux. »

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