mon coeur est parmi d'autres astres (elros)

La base ; et c'est ainsi qu'ils se lancent dedans, d'avec un Elros qui mène en retrouvant les habitudes du passé, mais sublimé parce que cette fois il y met du coeur, parce qu'il a envie de cet instant, qu'elle en profite, qu'elle revienne à la féérie du moment et non pas au rayon des maltesers ou il ne sait plus quoi.

Il a envie.

Drôle de sensation que de désirer quelque chose, même d'aussi simple ; à réclamer un bon moment, un instant qui se perdra un jour dans sa mémoire, parce que la beauté s'effrite à chaque fois et qu'il en revient toujours à ce maussade qui lui teinte l'âme d'ordinaire, qui le rend si fade et oubliable ; peut-être que dès lors, c'est un moyen de survivre que de laisser se perdre le précieux dans le quotidien, pour ne pas souffrir d'avoir été si peu marquant. C'est qu'on se rappelle en général des meneurs, de ceux qui mènent le groupe ; et Elros a toujours fait parti des suiveurs.

Mais il a envie.

Qu'elle passe un moment ; qu'elle ait un nouveau sourire, même léger, même qu'on retracerait d'avec une simple ligne. Qu'elle oublie toutes ses bourdes et les insultes qu'il a pu dire sans même s'en rendre compte ; que les offenses soient mises sous le tapis ; et qu'elle ne trouve pas sa main trop moite. "Je vous laisse offrir le second verre ?" Air mutin ; s'amuse, alors que tout est à portée ; mais y'a une certaine symbolique si c'est elle qui va le chercher, comme si elle voulait lui dire de rester, que sa compagnie n'est pas si désagréable ; alors que si, bien sûr que si, suffit d'entendre toutes les personnes qui vont à la mairie et sont tombés sur lui !

S'il avait été un nain, on l'aurait désigné comme Grincheux.

Mais il n'est pas si petit ; et puis Blanche-Neige aurait pu se faire cuire un oeuf ailleurs... Ce qu'elle a fait, d'ailleurs ; mais il n'est plus le cocu de la bande à cet instant, juste un fae étrange et maladroit. Quoique au moins il évite de l'être dans ses pas, formé par la meilleure ; matriarche sans doute très fière de son rejeton, pour une fois. "C'est parce que vous me demandez pas un rock acrobatique, j'arrive encore à m'en sortir." Quel idiot ; mais un bel, sans doute.

Les notes s'éteignent ; est-ce qu'avec, son envie aussi ? Est-ce que ça disparaît ainsi, les émotions ? Dans des notes qui tombent et des applaudissements qui s'élèvent ? Il la regarde elle, plutôt que les musiciens - oh ça va, il connaît à force - et voit ce truc poindre en elle, qu'il n'arrive pas à mesurer ; l'envie, Elros. Peut-être ont-ils réussi à être complices, dans une même envie.

Oh.
((c'est encore là))

"Déjà la dernière ?" Et il se rapproche à nouveau d'elle ; à vrai dire, ce n'était qu'un demi-pas à faire, parce qu'il ne s'était pas éloigné. "Guidez-moi." Comme pour lui dire... Lui dire que c'est sa chanson, sa danse ; qu'elle peut en faire ce qu'elle souhaite et que si elle ne veut pas respecter la chorégraphie, alors soit ! Qu'elle vive ! Lui, on dira que c'est sa maison qui veut ça, qu'ils tiennent plus des diablotins parfois que des lutins ; quoique, non, attendez, ce n'était pas ça !

C'est beau, une envie ; ça se savoure à la manière des enfants face à leur goûter ; trop vite, mais d'avec le coeur réchauffé de l'avoir vécu. Et sur cette bouille qui a quitté depuis longtemps les bacs à sables se dessinent le même sourire sincère ; ça pourrait être une jolie amitié, après tout.

C'est déjà beau.

Si cette relation doit durer au-delà de ces quelques heures, il leur faudra assurément un tableau pour tenir compte de leurs dettes; ici un pied écrasé; ici un verre offert en échange. Et Aminta voudrait bien que la partie continue, voudrait bien savoir qui est Elros lorsqu’il n’est pas vêtu de ses plus beaux atours, lorsqu’il n’est pas envoyé pour plaire; lorsque les regards de deux familles ne pèsent pas sur eux, alors qu’ils essaient de se comprendre sans avoir à revêtir un masque.

Ça ne veut pas dire qu’elle souhaite que le moment s’arrête.

« Je ne veux pas abuser de votre bonne volonté. » Qu’il donne la main et qu’elle prenne le bras; ça la chagrinerait qu’il en vienne à l’éviter parce qu’elle ne sait pas quand s’arrêter. Mais il a l’air tout aussi enthousiaste qu’elle, et ne fait pas mine de quitter la piste de danse. Elle espère franchement qu’il ne fait pas ça que pour lui faire plaisir, ce serait embêtant. Et embarrassant. « Ce sera le moment le plus ridicule ou catastrophique de votre vie. Mais, soit. » Elle se replace, une main dans la sienne, l’autre posée sur son épaule – ce n’est pas la position classique du meneur, mais ils sauront bien s’en sortir – et prend une longue inspiration. Les autres danseurs se sont déjà mis en mouvement, et Aminta les observe; compare leurs pas à ceux gravés dans sa mémoire (qui ne semble pas lui faire défaut); et compte le rythme pour s’insérer dans la danse sur le bon temps.

Les premiers pas sont ratés. Il leur faut une minute ou deux pour qu’Aminta s’ajuste, qu’elle se mette à la place d’Elros; qu’elle se remémore comment il l’a guidée elle, et fasse pareil. Une pression de la main vers la gauche, une poussée légère pour le faire reculer, pivoter, tournoyer. La jupe vaporeuse de sa robe s’enroule autour de ses chevilles, suit les mouvement amples de ses pas, et son coeur se gonfle. Heureuse. Elle en oublierait presque les malheurs qui l’accablent. S’ils ne sont pas oubliés, ils sont loin, muets. Pour l’heure il n’y a que la magie qui les entoure, qui baigne l’espace de lumière dorée; que la concentration nécessaire pour les guider sans percuter les autres; que le rire qui résonne dans l’air, alors qu’elle tourne sur elle-même: le sien.

Elros est le partenaire parfait, lui semble-t-il. Patient, tolérant, et docile; il n’a pas menti, en lui offrant de mener la danse. Et il la suit sans broncher, corrige le tir avec elle lorsqu’elle fait une erreur, et elle lui est tellement reconnaissante qu’elle ne sait pas si un verre suffira, ou si elle devra réellement l’aborder dans le rayon des surgelés.

La chanson est trop courte, s’achève et la ramène à la réalité. Elle a le souffle un peu court, un sourire lumineux au visage, les yeux pétillants. « Je pense que tu mérites ton verre, souffle-t-elle, si prise dans l’instant qu’elle en oublie le vouvoiement poli des débuts de leur conversation. J’ai… un peu chaud. » Aminta s’évente avec la main, entraîne son compagnon vers une table d’une main légère. « Ça ne me déplairait pas d'aller prendre l'air, qu’elle suggère en lui tendant une coupe, remplie cette fois d’un breuvage rosé. » Ce sera l’occasion de planifier son échappée, si c’est ce qu’il désire. Et peut-être qu’elle lui offrira sa compagnie, s’il la veut aussi.

Il lui offre de mener ; sans doute parce que c'est la première fois depuis longtemps que ça lui va, de danser ; et qu'il a envie de se laisser porter un peu, de s'offrir à ce moment d'avec cette sensation particulière de ne plus rien choisir. Aminta décide ; et il sourit un peu, d'avec ce recoin relevé qui indique qu'il s'amuse, à la façon dont elle le dit. "J'opterais plutôt pour le plus mémorable." Et il ne se moque même pas ; après tout, voilà longtemps qu'elle n'avait plus dansé et... C'est beau quelque part que ce soit avec lui qu'elle s'adonne à retrouver les pas d'antan ; qu'elle comble ce manque qu'elle avait pu exprimer, empreinte d'une nostalgie qui est belle à aborder, quand elle est peinte avec autant d'envie.

Alors Elros se laisse guider ; apprécie ce temps qui se retrouve comme un peu suspendu hors de cette ligne normalement toujours plate ; parce qu'on attendait pas d'eux ça, pas que ce soit Aminta qui mène et Elros qui suive ; et ça lui plaît, l'impression de trouver pour la première fois une étoile filante sous forme de fae. Elle exauce un voeu qu'il n'osait pas prononcé, mais le fait d'avec ce naturel qui agite un peu l'âme, qui lui donne envie de rester ; comme un but enfin trouvé et qu'on aurait jamais atteint sans ça. Et même quand le tout se termine, il sent son coeur tambouriner d'une façon particulière, d'une qui dit qu'il vit et ça ressemble presque à un miracle chez Elros, parce qu'il est difficile de le sortir de ces nuits étoilés, qu'il n'atteint normalement que la nuit tombée et laisse le reste de sa vie être décidée par les autres, parce que la nuit est tout ce qui lui importe.

Mais cette soirée trouve de l'intérêt ; situé dans ce sourire somptueux qu'elle lui offre ; et il se sait chanceux de le voir, surtout après avoir enchaîné les bourdes ; et la fae crépusculaire, dépeinte comme un monstre dans les contes, se retrouve finalement à être d'une douceur sans égale. "Je pense qu'on l'a largement mérité tous les deux." Ce n'est même pas pour la flatter, parce qu'il est sincère ; peut-être est-ce tout ce processus de se souvenir de ce qu'il en était lors d'une danse de ce genre qui a plu à Elros... C'était plus naturel, plus à même de mettre du baume à l'âme et de le rendre nostalgique plus tard, pour quand il viendra à se remémorer cette soirée se révélant agréable. Si bien qu'il attrape le verre tendu, ce petit air mutin qui l'accompagne encore. "C'est un message caché pour s'enfuir ensemble ?" Qu'il demande après s'être penché un peu vers elle, comme pour partager un secret, avant de lui offrir son bras à nouveau.

Et l'air frais de cette jolie nuit vient à être accueillie en douceur par Elros, parce qu'il a sa veste et sa chemise. "Si tu as trop frais à un moment, dis-le moi." Il ira pour se défaire d'une couche pour la lui laisser, parce qu'il s'en sort définitivement mieux de son côté avec les manches longues de sa veste. Mais Aminta est venue pour s'aérer, refaire tomber la température après cet effort qui, mine de rien, était assez conséquent. Doucement, il vient trinquer le verre contre l'autre, observant un peu cette femme qui, si elle n'avait peut-être rien gagné à revenir à Dupree, faisait gagner les autres à la connaître. "C'est peut-être encore un peu tôt pour le dire, mais..." Il dodeline légèrement, haussant les épaules. "Merci." Et sa face s'éclaire d'un sourire timide, parce qu'Elros est ainsi d'ordinaire, toujours en retrait, que s'exprimer est toujours compliqué pour lui. "Ca faisait longtemps que je n'avais pas apprécié ainsi un bal." Elros vient à faire taire sa confession d'une gorgée, levant le nez et les yeux vers le ciel, se demandant s'il est tout aussi artificiel que le château, ou s'il existe bel et bien ; l'envie d'y plonger les doigts.

Ses parents auraient pu la sommer d’être désagréable au possible qu’elle n’y serait pas parvenu. Il y a quelque chose chez Elros, une désinvolture et un calme qui l’apaisent, qui la mettent en confiance; tous les deux à la dérive, accrochés au même rafiot. Et pourtant Aminta n’a pas l’impression qu’Elros est un compagnon d’infortune, loin de là. Comme si le destin avait eu son mot à dire dans ce qui ne devrait être qu’un hasard. Et elle ne pense même pas à la romance, Aminta - elle découvrira bien vite que leurs familles y ont pensé pour eux - mais songe simplement que deux âmes peuvent se trouver et se retrouver, d’une existence à l’autre, et se reconnaître.
Ou peut-être (probablement) qu’elle se fait des histoires, qu’elle se raconte des salades pour se rassurer, alors qu’elle revient à la maison comme une étrangère. Alors qu’Elros lui ouvre grand les bras, sans la traiter comme une paria. Si seulement il savait qu’il n’y a pas que son exil pour l’isoler, peut-être ne serait-il pas si généreux. Mais elle n’a aucune intention de se révéler; après tout, ils ne sont ensemble que pour une soirée, et la prochaine fois, peut-être qu’ils se croiseront à Dupree, s’offriront un sourire et poursuivront leur chemin. « Mon offre tient toujours, qu’elle offre en guise de réponse, un mouvement désinvolte de l’épaule. » Elle n’hésiterait pas à couvrir sa fuite, s’il le lui demandait.

« C’est vrai que la soirée est encore jeune, qu’elle lui accorde d’un mince sourire. Qui sait ce qui peut arriver. » L’air frais, loin de l’ambiance étouffante de la piste de danse, la fait frissonner. Et puis l’aveu chasse la fraîcheur de la brise et lui fait monter le rouge aux joues. Elle reste muette quelques secondes, sans trouver les mots pour exprimer la douceur du sentiment qui la berce. C’est à la fois terriblement simple et terriblement compliqué; c’est d’avoir retrouvé un refuge dans la tempête, un endroit où se reposer avant de repartir. « Je crois que tout le plaisir était pour moi. » Et c’est stupide, et c’est cliché, et c’est vrai. « Je me suis sentie beaucoup moins seule. » Moins seule et moins effrayée à l’idée de réintégrer des machinations dont elle s’est éloignée le plus possible; protégée des manigances des familles qui auraient voulu profiter de son retour; des curieux qui n’auraient pas manqué de lui poser des questions auxquelles elle n’a aucune envie de répondre. Auxquelles, parfois, elle ne sait même pas répondre. Les souvenirs qui s’entrechoquent sont impossibles à dénouer.

À son tour, Aminta tourne le regard vers le ciel constellé d’étoiles. Elles sont bien plus nombreuses, et bien plus brillantes que lorsqu’elle écumait les rues de Los Angeles sans penser à lever le nez. Et la voie lactée traverse le ciel d’un sillon scintillant, et le firmament chatoyant semble respirer au même rythme qu’elle - vacille - ou plutôt, c’est elle qui faiblit alors qu’une vague étrange l’engloutit. Une voix qui n’est pas la sienne s’extasie des couleurs d’une aurore boréale et c’est la panique qui s’installe alors qu’elle se sait perdre pied. La coupe se renverse et le vin lui éclabousse les pieds; elle cherche à se raccrocher, à l’aveugle trouve une main posée sur la rambarde de bois ouvragé qui leur fait face. Elros. La comète, celle qui a traversé un ciel stérile pour la retrouver. Les doigts se referment et les couleurs s’estompent jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’une nuit d’été, et Aminta ne sait que souffler la première excuse trouvée: « Le vin est plus fort que dans mon souvenir. »

Sa robe lui va superbement ; et au teint, le bonheur s'accroche ; une once qui fait pétiller ses yeux ; étincelle qu'il rate, parce qu'il n'a pas tenu jusqu'au bout ses mots, qu'il a détourné les yeux vers ce ciel qui normalement détient toutes les histoires qu'il aime à se raconter, imaginant tout les évènements qui peuvent bien se passer sous sa voute et ses étoiles. Les manipuler lui semble plus aisé, parce que ce n'est qu'une question de temps qu'on détourne ; et qu'il est doué pour esquiver, broyer par la machinerie des faes. "Moi aussi." Pourtant il les regarde Elles plutôt qu'Elle ; parce qu'Elros tient parfois du lâche, parce que trop de fois Elros ne sait pas ce qu'est exister par soi-même et pour soi-même ; est un nom qu'on met en avant - certes un peu moins depuis son échec - et qu'il se doit de le tenir plus ou moins dignement.

Mais ce soir, il était un peu plus homme que fae ; un peu plus Elros que Oakpond ; il n'avait pas pensé aux étoiles une seule fois avant de se rappeler qu'elles l'attendaient.

Alors il était à sourire bêtement, à la façon d'un adolescent dont le coeur s'est réchauffé bêtement, un rougeoiement qui sera la faute à l'alcool ; mais sa tête déjà n'y songe plus quand il sent cette main par-dessus la sienne ; qu'il remarque qu'elle a perdue de sa superbe et que d'une tête, elle ne le dépasse plus. La coupe à sa main trouve place ailleurs et qu'importe si elle se brise ! Elros s'approche pour poser prudemment une main dans le dos de l'autre fae, les sourcils froncés, cet air de chiot inquiet qui habille à présent ses traits - pas la faute à l'alcool cette fois - et doucement sa main se retourne pour entourer doucement celle d'Aminta, sans que ce soit pour l'inviter à danser cette fois. "Viens t'asseoir." Qu'il lui somme prudemment, l'accompagnant à une chaise désertée par les convives, parce que la fête bat son plein à l'intérieur ; et que pourquoi se réfugier à l'extérieur, dès lors ? La pogne se détache de la taille où elle avait glissé pour l'aider, laisse la brune prendre toute la place nécessaire sur la chaise ; et puis ses doigts sont occupés à décoincer un pli de la robe pour qu'elle ne soit pas gêné dans ses mouvements.

Regard qui se relève vers l'autre ; se perd un instant dans l'éclat éteint de son regard, comme s'il l'avait perdu (était-ce déjà minuit ?) quand bien même elle est encore là. "Si tu te sens partir, dis-le moi, que je puisse t'aider à t'allonger." Et il faudra... Ah, oui, lui lever les jambes en l'air ; autant dire que l'idée ne l'enchante pas, être timide qu'il est ; peu familier des contacts, surtout... La chaise semble toute désignée pour faire office de porte mollets - et merci à elle pour ses multiples rôles dans cette affaire. "Je vais sommer qu'on aille te chercher de l'eau." Parce qu'il ne se voit pas la laisser ainsi ; surtout pas si elle va pour faire le fameux malaise ; n'est pas si stupide ; s'est déjà attaché.

Stupide Elros ; a toujours valu moins qu'Oakpond.

Les mots lui reviennent comme un automatisme, une litanie destinée à lui confirmer qu’elle est bien elle-même et qu’elle n’est pas perdue dans les méandres d’une vie qui ne lui appartient pas. Aminta Avanesyan, maison du Crépuscule, fille de… Et elle se répète encore et encore dans le secret de ses pensées pour ne pas effrayer le pauvre Elros qui ne sait pas dans quoi il vient tout juste de se mettre les pieds. Elle compte les secondes et puis les minutes, comme de s'assurer de ne pas en perdre une seule.
Elle voudrait ne pas avoir à se laisser guider vers une chaise; s’embarrasse de sa fragilité, de la coupe renversée, de la soirée si belle qu’elle vient tout juste de gâcher. Mais elle ne sait pas le repousser; parce qu’il est d’une gentillesse dénuée de pitié, qu’il ne sait pas l’ampleur du problème qu’elle tente de cacher. Sa douceur l’apaise, malgré la honte d’un secret bien lourd à porter. Alors elle se laisse porter, soulagée de la solidité de la chaise derrière son dos. Elle voudrait lui dire de ne pas s’inquiéter, que c’est déjà terminé, mais ce serait – possiblement – un mensonge. Tout allait si bien, pourtant ! Pas la moindre trace de rechute dans les jours précédant l’événement, et il fallait que ça arrive maintenant.

« C’est gentil. » Alors qu’elle voudrait lui dire de ne pas s’éloigner, de tenir sa main dans la sienne jusqu’à ce qu’elle soit rassurée. L’impression d’être une enfant effrayée à cet instant, et non la femme forte qu’elle se sait (savait ?) être. Et tandis qu'il s'écarte, à peine, elle se laisse presque choir. Les épaules s'affaissent, ses mains joignent ses genoux et le regard se perd dans le vague. Une, deux, trois secondes avant que la crainte se repartir ne soit trop forte et qu'elle enfouisse le visage au creux de ses mains, les yeux fermés trop fort comme pour ne pas voir le monstre qui la guette.

Elle compte les pas qui reviennent, s'inquiète d'en entendre de trop et que ses parents s'en mêlent. Mais il n'y a que lui, le verre d'eau glacée qu'il presse entre ses mains et qu'elle pose sur sa tempe pour se rafraîchir. « Pardonne-moi. Et puis, un léger trait d'humour: j'avais prévenu que la soirée est encore jeune. » Trop jeune peut-être pour tout ça. Ce n'est certainement pas de cette façon qu'Elros pensait finir sa soirée, et surtout pas si tôt, aux côtés d'une sotte qui ne sait pas se tempérer; puisque c'est le mensonge qu'elle a choisi, et dont elle ne devrait pas déroger. « Ne reste pas debout comme ça. Le regard tourné vers le haut, vers le visage inquiet qui veille, attentif. La place est libre. » Quoique s'il préfère la refourguer à quelqu'un d'autre pour prendre la poudre d'escampette, elle comprendrait. « J'ai juste besoin d'une minute. »

De l'eau ; vite ; il ne pense qu'à ça, appelle après le premier qui passe pour réclamer qu'on leur apporte de l'eau. N'ira pas plus loin et a de la chance, dans leur malheur ; on lui donne presque immédiatement un verre et il s'éloigne furieusement de la fête pour retourner à Aminta, pour le lui tendre avec un "tiens" presque trop affolé pour ce qu'il en est ; mais il a cette crainte dans la voix qui ne trompe pas, parce que ça fait longtemps qu'il ne s'est pas soucié de quelqu'un, pas même de lui ; mais ce soir, Aminta est spéciale ; et sans doute que comme toutes les belles choses, tout s'évanouira une fois le petit jour levé, parce que dès demain on lui dira d'avec qui elle avait pu danser.

Mais d'ici-là, avec de la chance, il restera Elros.

Bout de sourire tordu, parce que pas sincère, parce que forcé ; mais il veut pas l'inquiéter plus que ça, c'est juste... Oui, il est inquiet pour elle. "J'aurais dû mieux t'écouter." Qu'il glisse, se tente aussi à la plaisanterie de cette manière. Mais déjà tout s'efface ; il est invité à s'asseoir, plutôt que de rester bêtement là. Un regard sur la chaise d'à côté et il vient à la prendre pour la rapprocher, pour être tout à côté d'elle ; mais avant de s'asseoir, il retire sa veste. "Tu peux prendre plus de temps que ça." Et les mots sont donnés en même temps que la veste, qu'il vient à poser sur ses épaules, avant de trouver la place qui, il ne le sait pas encore, sera sienne pour le restant de leurs jours. "Après tout, la soirée est encore jeune." Cette fois, le sourire est bien plus sincère ; il ne partira pas encore ; pas comme ça, en tout cas.

Il lui laisse de l'intimité, même en étant si proche ; évite de la regarder, pour qu'elle ne se sente pas observer comme on regarderait une morte en devenir ; ne veut pas lui infliger ça en plus. "Si tu as besoin d'un repose-tête, mon épaule est là pour toi." Presque un murmure ; n'ose qu'à peine croire qu'il a pu lui dire ça ; l'audace n'a jamais fait parti des qualités d'Elros, si ce n'est auprès des humains qu'il rabroue, à la mairie de la ville. Mais voilà, cette soirée est différente des autres ; sans doute parce qu'il a, pour une fois, accepté d'être plus que son nom ; c'est une sensation bien étrange et presque terrifiante, pour quelqu'un qui devra redevenir celui qu'on attend dès le lendemain.